Jean, jeune dandy qui fait éclat dans les salons parisiens, est contraint de revenir sur les lieux de sa détestable enfance. Mais est-il vraiment seul dans cette cabane au milieu de nulle part lui et ses propres démons ?
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Voir le texte de transcriptionL’homme affalé dans la boue n’était pas de ces messieurs à être surpris, mais plutôt de ceux à surprendre. Et pourtant c’était bien lui qui se surprenait à ruisseler de sueur à l’idée de ce qui l’attendait dans cette sinistre cabane.
Jean avait presque tout pour réussir : beauté, charme, esprit étaient les qualités requises chez un gentilhomme et qu’il exerçait, il faut l’avouer, avec brio.
Cependant il était une chose, un détail pour certain qui le dérangeait plus que tout en cet instant.
Car le lieu miteux qui l’avait amené en campagne était celui de son enfance.
Là, dans cette cabane pourrie par les usages du temps s’étaient trouvés un homme et son fils : ils n’étaient pas heureux, vivaient de peu et la petite construction déjà insalubre ne les abritaient que peu des difficultés quotidiennes ; plutôt que d’être une source de réconfort, son ancien “foyer” lui rappelait le désespoir de n’avoir pu profiter jeune des atouts qu’il avait conquis.
Il décida le jour de ses 18 ans de partir sans pensées pour son père ni même considération pour ces temps passés.
6 ans plus tard il était enfin revenu, mais personne ne l’y attendait : son père avait achevé sa vie seul, noyé dans la tristesse, et Jean venait “toucher son héritage” bien que dérisoire.
Tout y était poussiéreux comme dans son souvenir, les fenêtres opaques, la porte grinçante et la trappe menant au garde-manger cadenassé. Oui tout était bien là, à l’exception de ce vieillard qui ne demandait rien à personne, et de qui l’on n’avait jamais exigé quoi que ce soit.
Jean repris ses esprits et examina la pièce unique avec plus d’attention, mais il savait la tentative vaine. Elle lui semblait nettement plus petite maintenant qu’il avait côtoyé la grandeur parisienne et qu’il l’avait fait sienne.
C’était un début d’après-midi chatoyant qui illuminait la ramure des arbres entourant la maison, et faisait ressortir l’herbe.
Alors un évènement rare intervint, surprenant Jean dans ses recherches : on frappait à la porte. C’était le berger, voisin le plus immédiat, qui avait surpris l’arrivée du fils de ce bon ami dont l’existence avait été si pauvre.
Il découvrit dans un contraste tout à fait ironique avec ses attentes un homme du Monde, chapeau de forme et canne à la main. En effet Jean avait plutôt bien opéré sa reconversion.
Quant au dandy, il ne vit que l’un des vestiges de son passé honteux, ce qui contribua à sa mauvaise humeur.
Mais le berger n’était pas là pour une visite de courtoisie. Il fut d’abord tout heureux d’imaginer recevoir une aide quelconque en vertu du “bon temps” mais Jean lui fit comprendre qu’il n’en serait rien. Gêné, il balbutia quelques mots de condoléances mais en vint rapidement au vif du sujet, la discussion commençant à devenir désagréable : il avertit Jean de la présence d’un loup dans les parages qui régulièrement venait croquer son troupeau. Mais Jean qui n’avait cure de ces problèmes de paysan lui rit au nez.
Désormais remonté contre cet arriviste, le berger imagina l’effrayer ; il lui conta l’histoire de la bête du Gévaudan, créature carnassière sévissant depuis des centaines d’année et fit mine qu’il s’agissait de celle-ci.
Jean lui répondit que dans les cafés il courait un mythe : comme quoi les provinciaux pouvaient être simples d’esprit, et sur ce lui claqua la porte au nez.
Le jeune homme passablement énervé, continua ses recherches puis comme la nuit tombait, se coucha à même le sol faute de matelas, avec l’idée de repartir à Paris dès l’aube.
Il se trouvait dans la cabane, et entendit son père lui parler : “Mauvais fils tu ne m’as donné que du souci à te nourrir, et mauvais homme tu n’as jamais montré ta gratitude. Trop occuper à regarder ton reflet dans le cours de l’eau, jamais tu n’as aimé autre que toi.”
Mais tandis que Jean se levait, il fut fermement agrippé par une gueule dévorant sa jambe et qui sortait de la trappe. Au moment où il y était entraîné par une force démentielle, il eut le temps de se voir aux côtés de son père, pauvrement vêtu et affichant un sourire narquois…
Jean se réveilla en sursaut. Bien que son songe fût troublant, il tenta de chasser ses noires pensées. La sueur sur son front disparue rapidement tant la fraîcheur de la nuit avait pénétré la cabane ; le phénomène était même très surprenant : les fenêtres avaient givré, et son souffle haletant se manifestait par de la bué. En effet ce froid semblait surnaturel. Il alluma un feu dans l’âtre en dépit du bois humide et s’y installa.
Il remarqua alors un grattement lointain, qu’il négligea durant les premiers instants.
Mais ce bruit irritant semblait s’approcher au fil des minutes, il devenait insistant.
Jean, d’abord prostré en face du feu, s’intéressa à l’origine du bruit tandis qu’il gagnait en intensité : la porte. Devenu insoutenable, Jean se souvint des paroles du berger ; et alors qu’il se moquait de sa crédulité, la porte s’ouvrit violemment.
Un vent puissant circulât dans la cabane et éteignit le feu.
Plongé dans le noir, Jean frémis ; il n’arrivait pas à distinguer la cause de cette irruption.
Mais après de longues secondes, rien ne survint. Il souffla et se dirigea vers l’embrasure de la porte. Ce qu’il n’y vit pas le rassurât : point de “bête assoiffée de sang” à l’horizon ; en revanche, de profondes empreintes étaient inscrites dans la terre meuble. Elles provenaient de la lisière de la forêt et se dirigeait droit sur la cabane.
Fait étonnant : elles disparaissaient au seuil de la porte. Jean sourit de sa stupeur initiale, mais son soulagement fut de courte durée tandis que la lune révélait deux éléments : les empreintes n’avaient rien d’humain et un trou suffisamment large pour laisser passer un sanglier avait été creusé le long des planches.
Pris d’une soudaine angoisse, il se questionna sur ce qui avait pu creuser ceci, et où conduisait le passage souterrain. Il referma rapidement la porte dans l’espoir que la cabane le protégerait, elle qui n’avait pourtant jamais rien fait pour lui.
Mais c’était sot de sa part, et il le savait bien.
Pourtant quelles autres options s’offraient à lui ? Peut-être n’y avait-il aucun danger environnant ?
Jean tenta de rationaliser sa situation : le rustre entrevu plus tôt avait probablement voulu lui faire une frayeur afin de le faire fuir. Mais il avait beau tourner et retourner la situation, il ne parvenait pas à s’expliquer cet immense trou.
Ainsi figé dans un coin de la pièce, il grelottait, de froid ou de peur il n’aurait su le dire ; et à vrai dire exprimer ce qu’il ressentait à ce moment précis lui était impossible : le cerveau en ébullition et les muscles tendus, armé d’un tisonnier, il était figé dans l’expectative du moment qui allait, il le savait, survenir.
Un violent coup frappa sous la trappe fermée ; Jean sursauta, les nerfs à vif.
Un deuxième coup, son cœur battait au rythme de son souffle haletant. Il s’imaginait déjà la bête surgir et se préparait à porter une attaque qu’il espérait fatale.
Un troisième coup, la trappe s’ouvrit violemment, une ombre en surgit et Jean s’enfuit sans même observer la nature de la menace. Il courut droit sur la porte, l’ouvrit et fila vers la lisière des bois sans se retourner, conscient de la présence monstrueuse sur ses talons.
Le terrain désormais en pente lui permis de prendre de la vitesse. Il lui sembla entendre un rugissement distant qui lui glaça le sang mais il ne pouvait prendre le temps de s’arrêter, il devait rejoindre le village …
Il ne vit le terrain boueux qui s’étendait devant lui que lors de sa chute sur celui-ci. Relevant sa face maculée, il fut traversé par une vive douleur à la jambe et s’autorisant un regard, il vit une longue plaie courant le long de sa jambe.
Il tenta de se relever, mais immédiatement chuta : le sol fangeux était trop difficile à parcourir dans son état ; à nouveau il essaya mais le résultat fut le même, accompagné cette fois ci d’un vif élancement à la cheville.
Il étouffa un cri de douleur ; son cœur battait plus rapidement que jamais. A quelques mètres de lui se trouvait le lac et au-delà le village … peu importait, tout ce qui comptait était de le traverser en espérant que la créature ne saurait nager.
Rassemblant ses ultimes forces et surmontant sa souffrance, il rampât, rampât pour sa vie. Et alors qu’il l’avait presque atteint, il lui sembla sentir sur sa nuque un souffle humide.
Jean gémit, il savait sans avoir à regarder que le prédateur rodait juste à ses côtés.
Désormais à sa merci il s’attendait à ressentir une morsure d’un instant à l’autre, la bête jouant juste avec sa proie avant de faire usage de sa gueule.
Pourtant l’attaque n’intervint pas. Ce répit lui parut interminable, jamais il ne s’était sentit aussi vivant et mort à la fois.
Agrippant la boue il continua de ramper bien qu’il sentit le souffle le suivre.
Enfin il atteint la bordure du lac, dont le calme résonnait dans la douceur de cette nuit uniquement troublé par la respiration de l’homme terrifié le long de la berge.
Jean vit alors la seule chose dans sa vie qui avait su le rassurer : son propre visage dans le reflet de l’eau.
Celui-ci, bien que salit et déformé par la terreur, lui fit oublier toute la raison qui lui restait.
Et malgré l’inexistence de ce qui le poursuivait dans le reflet, il continua de ramper et entra dans cette eau calme et sereine qui l’accueillit pour ne plus jamais l’en laisser ressortir.
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- Date de publication 25 avril 2016
- Durée 00:12:45
- ISRC FR-9W1-16-07183
- Âge conseillé Tout public
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C’est le Benjamin de l’équipe 😉 Nous lui souhaitons la bienvenue et l’encourageons pour d’autres nouvelles et d’autres narrations !
Une belle nouvelle bien menée jusqu’à la chute finale. Bravo, on en redemande.
Je vous remercie Frédérique de votre commentaire, qui me fait très plaisir et m’encourage à poursuivre !
Une nouvelle sympathique et ce qui ne gâche rien, une lecture vivante et agréable.
Une belle voix, que j’aurai plaisir à réentendre.